mardi 18 octobre 2016

La fugue - feuilleton napolitain (4)





Là-bas ! Là-bas !




 

De l'autre côté du désir, il y a la peur. Mais on ne peut pas toujours avoir peur. Alors j'ai fini par monter à bord de l'hydroptère pour aller à Procida, l'île du bout de la fugue, l'île qui en était le but, si tant est qu'une fugue puisse avoir un but. Car alors, ça ne serait qu'un voyage.
Dans la fraîcheur pour une fois grise et humide de l'hiver, j'ai débarqué sur cette île faite de murs, et recouverte d'une fine couche de buée glacée déposée sur le crépis des demeures et la végétation des jardins.
Et on fait quoi quand on est arrivé au but ?
Bah, on attend avec son sac et sa doudoune. On s'attend, plutôt, à ce que le bonheur vienne, arrivant en courant derrière vous à grandes foulées sonores et vous tapant dans le dos à coup de mandales familières ! Eh, princesse, je suis là ! ça commence maintenant, à partir de cet instant tout va changer car tu l'as fait : tu es là où tu voulais être !

Mais il n'arrive pas, alors on trouve un hôtel. 





J'ai arpenté les routes désertes de mon Eden. La solitude était pénétrante comme l'humidité, après le chaos pétaradant de Naples, pourtant, cela me faisait du bien comme le connu réconfortant et légèrement ennuyeux d'une balade dans un village-rue de Moselle, une nuit d'hiver quand tout le monde est en famille, malade d'avoir trop mangé.





Ce n'est qu'à l'aube du lendemain que j'ai découvert l'horizon, la lumière transparente de l'eau calme, les fleurs posées sur les squelettes d'arbres, les oiseaux de paradis de décembre et l'excès de citrons, d'oranges, de mandarines, de clémentines, de pomelos, de pamplemousses, de bergamottes, de limettes.


 

J'y étais, oui, mais c'était mon jardin, le jardin de mon père et je l'entendais me scander encore et encore ses vers préférés de Goethe : « Kennst du das Land, wo die Zitronen blühn, in dunkeln Laub die Goldorangen glühn ? Dahin, dahin, da will ich ziehn !* »
Là-bas, là-bas, il voulait aller vivre ; il l'avait fait. Là-bas aussi je vivais et croyant m'enfuir en Italie je retrouvais en fait la maison.



Dans mon jardin retrouvé, il y avait : un cheval blanc entrainé à trotter le matin sur la colline ; une plage de sable noir sur laquelle la mer avait recraché ses détritus de plastique indigestes, mais au moins pas des réfugiés ; des femmes âgées et seules, une s'invitant sur la photo, l'autre m'invitant à boire le café dans sa cuisine trop grande pour elle dans le seul but de me raconter sa vie, en italien, sans que j'y comprenne rien ; et la dernière me laissant ses fleurs à photographier plutôt qu'elle.



Et un chat perché.



La fugue accomplie et repliée sur elle-même jusqu'à devenir aussi parfaitement ronde d'un pomelo de Procida, j'ai retraversé la mer, vers ce qui n'avait été qu'une étape mais qui devenait maintenant un avenir imprévu et vibrant : Naples.




(À suivre…)





* « Connais-tu le pays où les citronniers fleurissent, dans le feuillage sombre les oranges d'or rougeoient comme des braises ? Là-bas, là-bas, je veux aller vivre ! », d'après Johann Wolfgang von Goethe, dans le poème Mignon.

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